V
DE LA BOUCHE DES NOURRISSONS

Le Télémaque, qui torchait de la toile, remontait une bonne brise de nordet bien établie, tout l’avant ruisselant d’embruns. Le cotre fit une embardée et Bolitho se rattrapa de la main au pivot d’une couleuvrine montée sur le pavois au vent. Huit coups de cloche venaient de résonner sur le gaillard : comme sur tout navire de guerre, grand ou petit, le changement de quart donnait lieu à un ballet compliqué, parfaitement réglé.

Le lieutenant Triscott salua Paice en portant la main à son bicorne :

— Le quart montant est rassemblé à l’arrière, Monsieur.

Bolitho le sentait tendu, chose surprenante de la part d’un officier si jeune et d’habitude si plein d’allant.

— Relevez le timonier, je vous prie.

— Ouest-nord-ouest ! Près et plein ! récita le timonier.

Les hommes du petit quart se hâtaient vers l’écoutille, bientôt remplacés par leur relève. On vérifiait tout le gréement courant, les amarrages de la drome et des canons alignés de chaque bord.

Le second, songea Bolitho, n’était pas le seul à accuser une certaine fatigue. Même dans les meilleures conditions, la vie n’était jamais facile dans une coque si petite et tellement surpeuplée. On pouvait comprendre la mauvaise humeur de l’équipage, qui jour après jour tirait bordée sur bordée, sans cesse en vue du Wakeful dont la station était à quelques nautiques sous leur vent. La région qu’ils patrouillaient avait été choisie après des calculs approfondis, mais à partir de rumeurs que beaucoup considéraient comme sans fondement.

Bolitho se sentait responsable de cette grogne. Certes, c’était Paice qui commandait l’unité, mais lui-même avait l’œil à tout, et se multipliait afin de pouvoir parer à toute éventualité.

Paice n’avait pour ainsi dire pas eu de contact direct avec le commodore Hoblyn et il ne tenait nullement à se prononcer sur la valeur de ses renseignements. Peut-être remâchait-il encore le meurtre de son informateur et l’arrogance calculée avec laquelle Délavai avait fait étalage du cadavre. Peut-être aussi rangeait-il Hoblyn au rang des officiers supérieurs qui étaient restés à terre trop longtemps pour saisir les ruses et les finesses de ce genre de travail.

Chaque fois qu’il s’allongeait sur sa couchette, Bolitho se trouvait incapable de s’absorber dans ses projets. Le souvenir d’Allday l’obsédait. Il se tournait et se retournait jusqu’à céder à l’épuisement, sans avoir mis fin à ses angoisses. Il remarqua que ni Paice ni Triscott ne citaient le nom d’Allday en sa présence : ils craignaient sans doute de lui déplaire, ou bien ils étaient convaincus, en bons marins, qu’Allday était déjà mort.

Paice traversa l’étroite poupe et salua, le regard perdu dans la clarté du soir.

— On pourrait bien avoir de la brume un peu plus tard, Monsieur.

Il observait le profil de Bolitho : de quelle humeur était le capitaine de frégate ?

— Mais nous pouvons encore garder le contact avec le Wakeful pendant quelques heures. Après quoi nous leur signifierons de se rapprocher pour la nuit.

Bolitho leva les yeux vers le mât qui vibrait. Les vigies, qui se cramponnaient à la vergue de hunier, ne perdaient pas de vue l’autre cotre, tandis que du pont, la mer semblait vide. Par deux fois, ils avaient mis en panne pour recevoir des dépêches d’un lougre de la douane. D’abord, il ne s’était agi que d’un message du commodore confirmant la validité du renseignement reçu. La deuxième fois, le lougre avait apporté des nouvelles plus inquiétantes : il semblait que des livraisons audacieuses avaient eu lieu sur le littoral sud, jusqu’à Penzance, en Cornouailles, et Lyme Bay, dans le Dorset. Un cotre de la douane avait donné la chasse à une goélette jusqu’à l’île de Whight, devant laquelle les contrebandiers étaient parvenus à s’esquiver à la faveur d’un grain.

Paice avait eu ce commentaire :

— On dirait que le bal a lieu sans nous, Monsieur.

Etait-ce une critique de sa stratégie ? De fait, les deux cotres se trouvaient aussi loin que possible des débarquements en question. L’administration des douanes avait pris l’affaire très au sérieux et réquisitionné tous les navires disponibles pour arraisonner ou détruire le ou les bateaux susceptibles de débarquer des marchandises de contrebande. Dans la Marine, on était allé jusqu’à mettre à la disposition des douanes une frégate de trente-deux canons. Celle-ci, basée à Plymouth, pourrait venir à la rescousse des bateaux du fisc, si ces derniers manquaient de puissance de feu ou étaient acculés, par la force des armes, au vent d’une côte dangereuse.

— C’est demain le premier mai, Monsieur, fit remarquer Paice.

Bolitho se tourna vivement et répondit :

— Je sais, figurez-vous. Je vous autorise à assurer vos hommes que cette patrouille sera terminée sous quarante-huit heures.

Paice, soutenant son regard, revint à la charge :

— Notre confiance en vous est intacte, Monsieur. Mais il se pourrait que les renseignements parvenus au commodore, sauf le respect que je lui dois pour sa bravoure en tant qu’officier – que les renseignements soient faux. La réputation d’un responsable n’est jamais à l’abri en cas d’échec.

Bolitho vit des poissons plonger dans une vague abrupte, sous l’étambot ruisselant du Télémaque :

— Vous croyez que le commodore pourrait avoir reçu l’ordre de retirer nos cotres ?

— Cela m’a effleuré, Monsieur. Nous sommes loin, au-delà du pas de Calais. Pourquoi ? Si c’est d’une ruse qu’il s’agit, nous sommes bien trop éloignés pour pouvoir intervenir à temps.

— Est-ce là l’opinion de tout votre équipage ? demanda Bolitho d’un ton tranchant.

Paice haussa violemment les épaules :

— C’est mon opinion, Monsieur. Je ne cherche pas à savoir ce que pensent mes subordonnés.

— Heureux de l’apprendre, monsieur Paice.

Cette idée lui était peut-être venue en même temps qu’aux autres hommes du bord. Sur un navire de guerre, personne n’avait d’endroit où s’isoler, de jour comme de nuit. Seules les vigies en tête de mât jouissaient d’une relative intimité.

Bolitho le savait : après un échec aussi lamentable, il ne lui resterait plus qu’à débarquer pour installer son quartier général à terre, comme Hoblyn ; et Allday ne serait pas là pour rendre la disgrâce supportable. Il donna un coup de poing sur la gueule humide de la couleuvrine. Où était-il maintenant, celui-là ? Arrivait-il à se débrouiller ? Qui sait si une escouade de presse ne l’avait pas déjà traîné jusqu’à Chatham, embarqué sur un navire où ses explications ne pourraient convaincre personne ? Que diable avait-il cru pouvoir réussir ? Sempiternelles questions sans réponse qui déferlaient dans son esprit comme des vagues envahissant une caverne.

Il orienta ses pensées sur Hoblyn tandis que Paice s’écartait pour échanger quelques mots avec Scrope, le capitaine d’armes, qui rôdait depuis quelques minutes du côté de la barre, essayant d’attirer l’attention de son commandant. Comment Paice avait-il pris le silence soudain de Bolitho ? Un moment, il avait cru voir une porte s’ouvrir entre eux, mais elle venait de lui claquer au nez.

« Que penser de Hoblyn ? » Il ne venait certes pas d’une famille aisée, ni même d’une longue dynastie d’officiers de marine. Autant que Bolitho pût le savoir, il était le premier de sa lignée à s’être enrôlé dans la Marine ; il l’avait servie sans ménager sa peine jusqu’au jour terrible qui l’avait brisé, faisant de lui une ruine, selon sa propre expression. Officiellement, Hoblyn était sous les ordres de l’officier supérieur commandant le Nore ; mais tout comme à Bolitho, on lui laissait une large initiative. Son travail consistait en partie à répertorier les navires qui, en cas de guerre, pourraient être rachetés par la Marine aux compagnies de navigation. Sa liste comprenait également tous les navires en construction dans les chantiers du Suffolk et du Kent.

Les occasions ne devaient pas lui manquer de recevoir de jolis dessous de table. Les moyens de se faire de l’argent ne manquaient pas : l’armateur n’avait qu’à convaincre l’officier supérieur de forcer la facture, pour leur profit à tous les deux. Certains navires avaient changé de mains plusieurs fois, que l’on fût en paix ou en guerre, — C’était le cas, par exemple, de l’infortunée Bounty, dont les ventes successives avaient rapporté gros.

Si Hoblyn ne touchait que sa solde de commodore, alors il vivait très au-dessus de ses moyens. Sa maison était le genre de logement spartiate fourni par l’Amirauté, mais ce qu’il avait bu et mangé chez lui était digne d’un chef d’état-major.

Les chantiers visités par Hoblyn étaient eux aussi bien connus de l’amicale des contrebandiers. Bolitho aurait voulu y voir plus clair.

Tourné face au vent, il laissa une gifle d’embruns lui rafraîchir le visage. Il avait eu ce geste le matin où Allday avait disparu. Allons ! son imagination s’emballait. Il voyait des traîtres partout.

A sa façon, Hoblyn avait tenté de le prévenir, et de même l’amiral, à Chatham : « Laissez les responsabilités aux autres, et contentez-vous de votre sort en attendant des jours meilleurs. »

Mais il prenait sa tâche trop à cœur. A l’Amirauté, on lui avait laissé entendre qu’il avait été choisi à cause de ses brillants états de service : il pouvait éveiller des vocations chez des jeunes gens qui décideraient alors d’endosser l’uniforme du roi pour servir à ses côtés. Amère consolation.

Dans les agglomérations du Nore et de la Medway, on avait la réputation d’être peu réceptif à la prose martiale des affiches de recrutement. Les guerres précédentes avaient vidé les villages et les ports de la région de tous les hommes en âge de combattre ; les uns, fièrement, s’étaient portés volontaires, les autres avaient été arrachés à leurs familles par les escouades de racolage. La fin des hostilités avait laissé trop d’estropiés et de disparus pour encourager les autres à suivre l’exemple.

Une ruine. Le mot hantait Bolitho.

Il regarda quelques gabiers se hisser sur les enfléchures au vent pour aller épisser des manœuvres. Elles s’étaient rompues, ce qui n’avait pas échappé à l’œil d’aigle du bosco.

C’était leur navire, leur univers. Tout ce qu’ils attendaient, c’était d’être débarrassés de cet officier qui avait naguère commandé une frégate.

Un bruit de pas traînants sur le pont : Matthew Corker. Il s’avançait, l’œil fixe, tout à sa tâche, tenant à deux mains une moque fumante.

— Votre café, Commandant.

Il eut un sourire timide.

— Hélas, elle est à moitié vide, Commandant.

Bolitho essaya de lui rendre son sourire. Le garçon s’efforçait de lui plaire, il s’appliquait à prendre modèle sur Allday. Il lui donnait même du Commandant, comme Allday, qui était jaloux de cette prérogative. Et puis il s’était à peu près délivré de son mal de mer.

— Tu veux toujours devenir marin, Matthew ?

Le café était bon, les forces lui revenaient.

— Oui, Commandant, plus que jamais.

Qu’allait penser de tout cela son grand-père, le vieux Matthew ? Le soleil rouge posa sur le mât un rayon qui attira un instant le regard de Bolitho. La grand-voile faseyait, grondant au vent. Encore quelques heures et cette comédie serait terminée.

Oubliée sa réputation de commandant de frégate ! Désormais, il passerait aux yeux de tous pour l’homme qui considérait un cotre comme un cotre. Une ruine.

— J’ai oublié de vous dire quelque chose, Commandant, lui lança le garçon avec un regard suppliant. Nous avons tant à faire, et tant de souci.

Cette fois, Bolitho lui adressa un franc sourire. Le garçon avait dit « nous », et cela n’avait pas dû être facile pour lui. Ce navire surchargé, le langage cru des gens de mer, les rumeurs qui circulaient au sein de l’équipage… Il avait eu à Falmouth une vie protégée, qu’est-ce qu’il pouvait comprendre à tout cela ?

— Quoi donc ?

— Quand je suis allé chercher les chevaux dans l’écurie, chez le commodore, j’ai jeté un coup d’œil. Je voulais voir les autres montures et tout ça.

Matthew eut une grimace appliquée, comme s’il essayait de bien se représenter la scène pour ne rien oublier.

— Il y avait une jolie voiture. Mon grand-père m’en avait montré une pareille autrefois. Quand j’étais tout jeune, Commandant.

Bolitho le taquina :

— Cela devait être il y a bien longtemps.

Mais l’ironie de la remarque échappa au garçon :

— Elle avait un type de suspension particulier, voyez-vous, Commandant. Je n’en ai jamais vu d’autre jusqu’à cette nuit-là.

Bolitho attendait :

— Et alors ?

— C’est une voiture française, Commandant, une berline, tout comme celle que j’avais vue à Falmouth. Elle appartenait à un gentilhomme qui était venu avec sa dame.

Bolitho le prit par le bras et l’entraîna jusqu’au pavois, de sorte qu’ils tournaient maintenant le dos aux timoniers et autres témoins :

— Tu en es sûr ?

— Oh ! oui, Commandant ! approuva-t-il, emphatique. Et puis les portières étaient fraîchement repeintes. Mais avec ma lanterne, j’ai pu voir le motif.

Bolitho essayait de rester patient :

— Quel motif ?

Matthew fit la moue.

— J’ai oublié comment ça s’appelle, Commandant. Une espèce de fleur, avec un écusson.

Pendant plusieurs secondes, Bolitho fixa l’horizon de biais. Puis il hasarda calmement :

— La fleur de lys ?[2]

Les joues du garçon s’épanouirent comme deux pommes :

— Oui ! c’est comme ça que mon grand-père l’appelait !

Bolitho le fixa un moment, rêveur. Lui revenaient les paroles du psaume : C’est par la bouche des nourrissons… Il sourit gentiment.

— Tu en as parlé à quelqu’un ? Ou est-ce strictement entre nous ?

— Je n’ai rien dit, Commandant, mais j’ai trouvé ça bizarre.

Le temps semblait s’être arrêté sur l’expression joyeuse du garçon et sa description de la belle voiture quand retentit sur le pont la voix de la vigie :

— Voile en vue, Commandant ! Par la hanche au vent !

Paice et Bolitho échangèrent un regard.

— Eh bien ! monsieur Paice, s’exclama Bolitho d’un ton facétieux, cette fois, nous savons que ce n’est pas le Loyal Chieftain.

L’autre approuva avec lenteur :

— Nous savons aussi qu’entre ce navire et la terre, il n’y a…

Bolitho lui coupa la parole et regarda le garçon :

— Il n’y a que nous, monsieur Paice !

— Oui, Monsieur !

Puis, brandissant son porte-voix :

— Holà, la vigie ! Quel gréement ?

— Une goélette, Commandant ! Et pas une petite, morbleu !

Paice se rapprocha de Bolitho en se frottant vigoureusement le menton :

— Elle n’aura pas de mal à nous prendre l’avantage du vent. Même avec le Télémaque, il nous faut deux bonnes heures de louvoyage pour remonter à son vent.

Il jeta vers le ciel un regard entendu :

— Et le temps va nous manquer.

Une poignée de matelots oisifs qui s’approchaient pour surprendre la conversation attirèrent l’attention de Bolitho.

— C’est vrai, approuva-t-il. De surcroît, s’il craint de se faire arraisonner, il virera peut-être de bord dès qu’il aura aperçu le Télémaque ; il tentera de fuir…

— Dois-je transmettre un ordre au Wakeful ?

De nouveau, il avait parlé avec hésitation.

— Je ne pense pas. Le Wakeful est sous notre vent : il sera mieux placé si la goélette décide de laisser porter pour embouquer le pas de Calais.

Paice eut un mince sourire :

— C’est bien ce que je dis, Monsieur, vous n’en démordez pas.

— Après cela, répondit Bolitho en détournant modestement les yeux, j’espère que d’autres s’en souviendront.

Paice adressa un signe à son second :

— Fais monter les deux bordées, Andrew…

Après un regard inquiet à Bolitho, il se reprit :

— Je veux dire : faites monter les deux bordées, monsieur Triscott ! Faites faire branle-bas de combat, mais ne chargez pas les pièces, ne les mettez pas en batterie.

Bolitho les dévisagea un moment, puis expliqua :

— Le Télémaque est un fin voilier, et ses qualités de marche au près serré vont nous donner un avantage. Cela nous mettra également en bonne position pour tirer le meilleur de notre petite batterie, s’il faut faire parler la poudre.

Il traversa le pont jusqu’au pavois sous le vent et observa un instant l’écume du sillage. Vivre l’instant présent. Ne pas penser plus loin, surtout pas à Allday ni au fait que ce navire pouvait être armé par une compagnie de navigation tout à fait honorable. Si tel était le cas, il ne donnait pas cher de son nom à l’avenir.

— Que dois-je faire, Commandant ? demanda le jeune Matthew.

Bolitho le regarda, l’enfant baissa les yeux.

— Va me chercher mon épée.

« Et prie. » se retint-il d’ajouter. Il précisa simplement :

— Et reste à côté de moi.

Des coups de sifflet retentissaient de tous côtés, même s’ils n’étaient pas indispensables : le Télémaque ne mesurait que vingt et un mètres de long.

— Tout le monde sur le pont ! Branle-bas de combat !

Le lendemain était le premier mai : de quoi cette journée serait-elle faite ?

Bolitho baissa sa lorgnette et demanda par-dessus son épaule :

— Quelle est notre position estimée, monsieur Chesshyre ?

Le maître principal répliqua :

— Une dizaine de nautiques au nord de Foreness Point, Monsieur.

Bolitho essuya sa lorgnette avec sa manche ; il réfléchissait à cette réponse. Foreness Point représentait l’extrémité nord-est de l’île de Thanet, sur la côte du Kent. Le nom de ce cap, ainsi que l’accent de Chesshyre, lui rappelèrent un instant Herrick.

— S’il s’agit bien d’un contrebandier, Monsieur, intervint Paice d’une voix rauque, il aura du mal à virer de bord maintenant.

Bolitho braqua de nouveau sa longue-vue sur les grandes voiles sombres de la goélette, ailes de chauve-souris dominant la mer. Paice avait raison. Avec ce nordet qui fraîchissait, il serait difficile, peut-être dangereux, de tenter de doubler le promontoire. Les vigies, juchées à vingt mètres du pont, l’avaient probablement en vue, mais de là où se trouvait Bolitho, on aurait pu croire que les deux navires avaient l’océan pour eux seuls.

Il consulta le ciel : toujours pas le moindre nuage. Mais la mer était plus sombre. Tôt ou tard l’un des navires devrait abattre ses cartes. Il se représenta le dessin de la côte : ils faisaient route en direction du vieux mouillage de Sheerness, mais Whitstable se trouvait sur le chemin. S’ils conservaient leur cap et leur vitesse, les deux bâtiments étaient en route de collision, ils se rapprochaient l’un de l’autre, inéluctablement, comme deux lignes sur la carte.

— Il va bientôt devoir laisser porter, observa Paice, s’il ne veut pas faire côte du côté de Sheppey.

Bolitho jeta un coup d’œil sur le pont. Les servants des pièces d’artillerie étaient accroupis ou allongés derrière les sabords fermés. Chaque chef de pièce avait déjà choisi son meilleur boulet dans les équipets pour la première bordée.

Bolitho avait connu bien des engagements, et il n’était pas dupe de la fausse désinvolture des matelots, qui avaient l’air d’observer avec un intérêt professionnel l’approche régulière de la goélette. Avec Allday, c’était différent. Combien de ces hommes avaient l’expérience d’une bataille navale ? Quelques-uns avaient eu leur baptême du feu lors d’un embarquement précédent mais, comme le lui avait expliqué Paice, la plupart étaient des pêcheurs, ou des terriens qui avaient perdu leur emploi.

— Vous pouvez faire charger, à présent, monsieur Paice ! dit Bolitho.

Il attendit que le lieutenant se fût tourné vers lui pour continuer :

— Il ne va pas prendre la fuite maintenant. Vous le savez, n’est-ce pas ?

Paice avala sa salive.

— Je ne vois pas ce que…

— Exécution, monsieur Paice ! Veillez à ce que les maîtres artilleurs s’occupent personnellement de chaque pièce. Faites charger à double charge, mais je ne veux pas courir le risque de faire éclater un fût.

— A charger les pièces de six ! hurla Paice. A double charge !

Quelques servants intrigués lancèrent des regards dubitatifs vers la lisse de couronnement où se trouvait Bolitho, mais celui-ci n’en avait cure. Il braqua de nouveau sa lorgnette. On voyait de mieux en mieux les grandes voiles sombres. On commençait même à apercevoir des silhouettes humaines près du pavois et dans le gréement. Il se demanda ce que les hommes de la goélette pouvaient bien penser de l’approche du Télémaque. Pourquoi un cotre s’interposait-il entre eux et la terre, un petit navire maniable dont les canons étaient encore cachés par les volets des sabords ?

— Vous connaissez ce navire ?

Bolitho, abaissant sa lorgnette, s’aperçut que le jeune Matthew le dévorait des yeux, comme s’il craignait de manquer quelque chose.

— Il n’est pas d’ici, Monsieur, répondit Paice en secouant la tête.

Bolitho se tourna vers le maître principal :

— Et à vous, il vous dit quelque chose ?

Chesshyre haussa les épaules :

— Jamais vu de ma vie.

Bolitho serra les poings. C’était donc probablement le navire qu’ils cherchaient. Il jeta un coup d’œil rapide par le travers. Le jour tirait à sa fin, la brume qui flottait au-dessus de la terre invisible commençait à voiler les rayons du soleil.

— Serrez le vent de deux quarts, monsieur Paice !

Les hommes se précipitèrent à leurs postes de manœuvre. Les poulies grincèrent. La grand-voile grondait sur sa longue bôme avec des claquements de tonnerre.

— En route au nord-ouest, Commandant !

— Hissez le pavillon !

Bolitho cessa d’observer la goélette pour regarder de nouveau les servants ; quelques-uns, encore sur leurs jambes, fixaient bouche bée l’autre navire. Les claquements de la grande enseigne résonnaient sur le pont.

— Faites tirer une pièce bâbord, monsieur Paice ! cria Bolitho.

Paice ouvrit la bouche pour demander des explications, puis se contenta de hocher la tête. En effet, tirer le coup de semonce avec une pièce bâbord permettait de garder battante toute la batterie tribord. Quelques instants plus tard, la détonation retentit : la pièce de six la plus à l’avant avait ouvert le feu. Les servants n’avaient pas encore écouvillonné le fût que la fumée s’était dispersée.

Bolitho croisa les bras et regarda la goélette, imité en cela par le jeune Matthew qui n’osait même pas battre des cils.

— Il ignore notre signal, Monsieur ! s’exclama Paice, abasourdi. Il est peut-être…

Bolitho ne sut jamais ce que Paice avait eu l’intention de lui dire, car au même instant un long éclair illumina le gaillard de la goélette. Il y eut un toupet de fumée. Un boulet survola les crêtes des vagues et fit voler en éclats le pavois du Télémaque avant de pulvériser une pièce de six. Des éclisses de bois et des éclats de métal jaillirent en miaulant dans toutes les directions. Dès que le bruit de la détonation se fut estompé, retentit un chœur de hurlements atroces.

Un des marins, à genoux, se frottait le visage et la poitrine de ses doigts sanglants, tandis que son cri se muait en plainte suraiguë, comme celui d’une femme en proie aux douleurs ; puis il tomba sur le côté ; son sang jaillissait par saccades et coulait jusque dans les dalots ; la vie s’échappait par ses blessures béantes. Quelques matelots en restèrent pétrifiés d’horreur ; puis d’autres hurlements s’élevèrent quand un second boulet, traversant le pavois, fit jaillir une nouvelle gerbe d’éclisses mortelles.

— Ouvrez les sabords ! Mettez en batterie !

La silhouette massive de Paice se découpa sur les vagues qui défilaient le long du bord. Son visage était aussi impassible que la pierre. Des hommes qui gémissaient en rampant sur le pont éventré laissaient derrière eux une traînée de sang.

— Faites feu au coup de roulis, monsieur Paice ! avertit Bolitho. A cette distance, c’est notre seul espoir.

Ainsi, tout se passait comme Hoblyn l’avait annoncé… Mais ses pensées se dispersèrent quand Triscott, abaissant son poignard d’un grand geste du bras, déchaîna le feu des six pièces tribord qui tonnèrent à l’unisson. La caronade ne pouvait être utilisée qu’à bout portant, le capitaine de la goélette ne devait pas l’ignorer. Bolitho vit frémir les voiles au-dessus du pont, quelques poulies et manœuvres arrachées tombèrent par-dessus bord et se mirent à traîner dans l’eau comme des plantes.

— A recharger ! Mettez en batterie !

Triscott criait ses ordres d’une voix aiguë. Il abaissa de nouveau son poignard.

— Feu !

Bolitho surprit plusieurs matelots en train de dévisager leurs camarades tombés. Combien avaient-ils déjà d’hommes hors de combat, morts ou blessés ? Impossible à dire. Mais après ce qu’ils venaient d’essuyer, l’angoisse et la terreur soudaines cédaient déjà devant la fureur.

— Toi, là-bas ! hurla Chesshyre. Relève Quin !

Le timonier en question, touché à la tête, s’était effondré en travers du timon : personne ne l’avait entendu ni vu tomber. Il avait le visage tourné vers le pont, les yeux fixes.

Chesshyre croisa le regard de Bolitho et s’excusa :

— Ils ont encore des progrès à faire, Monsieur, mais vous pouvez compter sur eux.

On aurait cru l’entendre commenter une régate. Bolitho approuva :

— Il nous faut toucher ses mâts et son gréement.

Il attendit un instant de silence pour hurler :

— Chefs de pièce ! Visez les hauts ! Une guinée pour la première voile !

— Feu !

— Sauf erreur, gronda Paice, ce salaud arme des pièces de neuf.

Il s’interrompit avec un hoquet : un boulet venait de frapper la carène sous la flottaison, soulevant une haute gerbe loin au-dessus du pavois.

Bolitho découvrit son expression au moment où les hommes se précipitaient aux pompes. Une expression de détresse. Comme si c’était lui qui avait été touché, et non le cotre.

Retentirent alors de sauvages cris de victoire ; Bolitho pivota à temps pour voir la misaine de la goélette éclater. Devenu brusquement le jouet du vent, le navire avait le plus grand mal à corriger au gouvernail les assauts des vagues.

Bolitho se mordit les lèvres. Un autre boulet traversa en rugissant le gréement du cotre, sectionnant une drisse qui s’abattit sur le pont en tournoyant comme un serpent blessé. Cela ne pouvait pas durer. Un boulet dans l’unique mât du Télémaque, et ils étaient immobilisés.

— La hausse de ses pièces de neuf est à bout de course, Monsieur ! lança triomphalement Paice.

Bolitho regarda l’ennemi en silence. Paice avait une bonne expérience de ce type de navire, il savait les difficultés qu’il y avait à installer des pièces à fût long sur le pont d’un navire de commerce.

— Il essaie de virer de bord !

Triscott fit signe aux artilleurs :

— Des coups au but, garçons !

Il attendit que tous les poings noircis des chefs de pièce fussent levés, montrant qu’ils étaient prêts :

— Feu !

— Dieu du ciel ! soupira Paice.

Coup de chance ? Adresse d’un pointeur ? Bolitho vit le beaupré de la goélette voler en éclats ; le gaillard se couvrit de toiles frémissantes et d’étais enchevêtrés.

Dans la fumée qui se dissipait, Paice cherchait du regard son bosco.

— Monsieur Hawkins ! Préparez-vous à distribuer les armes !

Il dégaina son propre poignard et jeta un regard furieux à la goélette :

— Par le ciel ! Ils vont me le payer !

La distance entre les deux navires diminuait rapidement ; Bolitho vit que la goélette lofait irrésistiblement. Son regard se fit plus aigu. Il entendit vaguement un feu de mousqueterie, et le bruit des balles s’écrasant sur la coque du Télémaque. De combien de temps disposait-il encore ? Il eut un geste précipité :

— Pouvez-vous déplacer l’autre caronade sur tribord ?

Paice acquiesça vivement, ses yeux étincelaient.

— Arrimez la batterie bâbord, monsieur Triscott ! Roulez la caronade sur tribord et mettez en batterie !

Il se tourna vers Bolitho et ajouta :

— Pour l’instant, ils sont plus nombreux que nous, mais cela ne va pas durer !

Bolitho regarda les voiles de la goélette s’élever au-dessus du cotre comme pour l’étouffer, l’enfoncer au profond de la mer. Plus que cinquante mètres. Plus que vingt mètres. Ici, un homme s’effondrait en crachant du sang, plus loin, un autre tombait à genoux comme en prière, s’étreignant la poitrine à deux mains. Bolitho poussa le jeune Matthew à l’écart près de la descente :

— Reste là !

Il dégaina son épée et imagina Allday présent à ses côtés, le sabre d’abordage à la main.

— Parés à monter à l’abordage !

Certains marins brûlaient de se ruer à l’assaut, d’autres étaient terrifiés par la proximité de l’ennemi, qui se trouvait maintenant le long du bord. On entendait l’équipage de la goélette hurler et tirer, vomir des imprécations dans l’attente du choc.

Bolitho s’avança derrière les marins accroupis, tenant mollement son épée à la main.

Quelques-uns, remarquant son ombre au-dessus d’eux, se retournèrent pour le regarder, horrifiés, incrédules : il s’exposait délibérément aux tireurs d’élite de la goélette.

— Prêts ?

Bolitho eut une petite grimace : une balle venait de traverser les basques de son habit.

— Maintenant !

Les deux caronades firent feu à l’instant même de deux sabords contigus, ébranlant la structure du cotre du talon de la quille à la pomme du mât. Un énorme nuage de fumée grasse balayé vers l’intérieur du Télémaque déclencha chez tous les matelots des quintes de toux en rafale et des nausées.

Bolitho vit que tout un côté du gaillard de la goélette avait été arraché. La horde des marins qui attendaient les abordeurs formait un tas sanglant, un enchevêtrement de membres qu’agitaient des spasmes convulsifs ; on eût dit les organes d’un géant démembré. La décharge de mitraille tirée par la couleuvrine de poupe avait transformé le pont en charnier. Bolitho s’agrippa aux haubans et hurla :

— A moi, garçons ! Envoyez les grappins !

Il entendit les grappins résonner contre les pavois de la goélette et aperçut un homme accroupi à côté d’un canon renversé ; il avait l’air d’attendre l’attaque, en fait il était décapité.

Les deux coques s’écrasèrent l’une contre l’autre, puis s’écartèrent d’une embardée ; enfin, elles répondirent lourdement aux efforts des hommes halant sur les grappins, assurant l’étreinte mortelle.

— A l’abordage !

Bolitho se trouva entraîné sur le pont de la goélette. Dans leur hâte d’en découdre, les hommes le dépassaient en le bousculant. Des silhouettes s’écroulaient dans des hurlements d’agonie. Sous ses yeux, la fureur et la jubilation de l’équipage du Télémaque dégénéraient en fièvre immonde. Les hommes s’acharnaient sur l’ennemi à coups de sabres d’abordage et de piques, à coups de baïonnettes, et même à mains nues, avec une férocité que nul n’aurait pu prédire une heure plus tôt.

— Halte au feu ! hurla Bolitho.

De la pointe de son épée, il dévia le sabre d’abordage d’un matelot qui se disposait à empaler un jeune blessé sur les bordés pleins de sang. Paice hurlait également à ses hommes de cesser le combat. Hawkins, le bosco, et une équipe choisie de gabiers s’occupaient des drisses et des bras, afin d’empêcher les deux coques de se détruire mutuellement sous la pression des vagues.

Les vainqueurs ramassaient les sabres d’abordage. L’équipage de la goélette se regroupa en troupeau, laissant ses blessés se débrouiller.

— Envoyez une équipe en bas, ordonna Bolitho, hors d’haleine. Il ne faudrait pas qu’un héros fasse sauter la sainte-barbe.

Lui parvinrent d’autres ordres, quelques acclamations confuses. Triscott, de la poupe du Télémaque, agitait victorieusement son bicorne. Près de lui, le jeune Matthew, tentait en vain de pousser des cris de victoire, car il s’étouffait dans ses sanglots à la vue de la dévastation provoquée par les monstrueuses caronades.

Glissant dans les flaques de sang, trébuchant sur les morceaux de chair humaine, Hawkins jetait ses ordres ; quand il vint faire son rapport à son commandant, il avait des bottes de boucher :

— Tout est clair, Commandant.

Et se tournant vers Bolitho, il ajouta curieusement :

— Certains d’entre nous ne vous ont pas servi à grand-chose, Monsieur. Mais vous aviez raison.

Il leva son pouce noir de goudron.

— Les cales sont remplies jusqu’aux barrots de marchandises de contrebande : du thé, des épices, des soieries. D’origine hollandaise, à première vue.

Il baissa la voix et considéra un contrebandier durement blessé qui passait en rampant près de ses bottes.

— J’ai posté des sentinelles armées devant la cale arrière, Monsieur. Elle est pleine de tonneaux d’alcool, du genièvre de Hollande, je parie, et d’autres choses encore.

Paice s’épongea le visage d’un revers de manche.

— Alors, c’est bien un hollandais ?

Hawkins secoua la tête :

— Seulement la cargaison, Monsieur. Le capitaine est, ou plutôt était, du Norfolk. Presque tous les autres sont anglais, ajouta-t-il avec une moue dégoûtée. Je vous pendrais tout ce beau monde sans faire de tri !

Bolitho rengaina sa vieille épée. Là aussi, Hoblyn avait vu juste : la cargaison, qui devait être débarquée à Whitstable, avait probablement commencé son voyage dans les cales d’un navire de la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Avec promesse de profits vertigineux.

Il observa un instant les morts et les mourants, puis le Télémaque, marqué lui aussi par des taches de sang. Pour ce qui les concernait, ils n’avaient pas de grands bénéfices à attendre de cette opération.

— Vous vous sentez bien, Monsieur ? demanda Paice, inquiet.

Il le dévisageait attentivement :

— Vous n’êtes pas blessé ?

Bolitho secoua la tête. Il était en train de penser à Allday, qui avait toujours été à ses côtés lors d’engagements comme celui-ci : combien d’épreuves n’avaient-ils pas affrontées ensemble ?

— C’est comme si j’avais perdu mon bras droit.

Il se secoua :

— Faites fouiller le navire avant la nuit. Puis nous gagnerons un mouillage. Nous y resterons jusqu’à ce que nous puissions réparer nos avaries.

Deux matelots qui avaient ceinturé un des chefs des contrebandiers l’entraînaient sans ménagement :

— Très bien. Isolez-les. Ils ont beaucoup de choses à nous raconter.

— Mon bosco a exprimé ce que nous ressentons tous, Monsieur, dit simplement Paice. Nous nous sommes mal battus parce que nous n’avions pas de cœur au ventre. Mais vous, vous êtes un guerrier. A présent, nous le savons.

Bolitho s’écarta jusqu’au pavois. Tout son être se révulsait au spectacle et dans l’odeur de la mort.

Hoblyn serait ravi, ainsi que Leurs Seigneuries de l’Amirauté. Après réparations, cette jolie goélette pourrait être vendue aux enchères devant le tribunal des prises, ou incorporée directement dans la Marine. Sa cargaison illégale ne laissait aucune chance à l’équipage : plusieurs seraient bientôt pendus pour servir d’exemple aux autres.

Bolitho considéra rêveusement le groupe des prisonniers pelotonnés les uns contre les autres. Quelques-uns seraient enrôlés de force, comme leur navire, à condition qu’ils n’aient pas tué.

Tout était accompli. Un matelot, lui offrant sa main calleuse, l’aida à franchir le pavois pour regagner le pont du Télémaque. C’était bien la victoire qu’il avait espérée. Mais tout à coup, elle lui paraissait décevante.

 

 

Toutes voiles dehors
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